ROAD TRIP EN ALBANIE : ON VOUS RACONTE NOTRE FABULEUX VOYAGE AVEC DES PAUSES à MUNICH, VIENNE ET BUDAPEST

Gare du Nord, 7 juillet, 10 h 34, c'est le début de notre road trip vers l'Albanie. À peine entré sur le quai, je sens le regard pesant de plusieurs mecs habillés de vestes en cuir. Ce road trip, je le fais avec un gros sac Quechua et une petite sacoche Topologie, je n’ai donc pas l’air d’une mule sud-américaine. Et pourtant. L’un d’eux me coupe la route, il sort sa plaque. “Bonjour monsieur, contrôle des douanes. Vous avez de la drogue sur vous ?” J’éclate de rire. “C’est lui qui a senti quelque chose”, se justifie-t-il péniblement, en pointant du doigt un vieux labrador chocolat qui aurait bien besoin de vacances. Je leur explique le but de mon voyage, le premier “solo trip” de ma vie, que je vais écrire dessus. “Ha, vous êtes journaliste, d’accord, pour qui ? GQ ? Super, bon voyage alors.” Ils me laissent donc passer, ça y est. 14 jours, et donc 336 heures à remplir, avec un cap : l’Albanie.

En préparant ce voyage, j’ai essayé de ne pas prévoir toutes mes nuits, tout en ayant des points d’étape. Tout ce que je sais, c’est que j’ai un Pass Interrail de sept jours pour aller où je veux en Europe. J’ai oublié ma gourde et ma batterie externe, quelle organisation… J’ai essayé de ne pas “overpack”, j’ai pris cinq livres (beaucoup trop), dont des romans d’Ismaïl Kadaré, la fierté nationale albanaise. Dans le train pour ma première étape à Munich, je suis pris d’une espèce d’euphorie encore inconnue. Je me rends compte que personne ne m’attend, nulle part, pendant deux semaines. Je décide chaque jour de mes 24 h, sans contrainte. C’est rare en 2023, non ?

“Je ne regarde même plus le temps passé entre deux villes, j’accepte de filer à travers la verte campagne bavaroise en écrivant, en lisant ou en regardant des épisodes de Seinfeld.”

Munich

Une première nuit à Munich, sans grand intérêt à part la viande braisée et le pétillant naturel d’Usagi, que je vous conseille. Prenez une bière chez Bravo pour apercevoir la jeunesse dorée munichoise, encore que…

Vienne

Bon, Munich, c’est pas Los Angeles, mais je le savais. Direction Vienne, qui me fascine depuis des années. J’ai une madeleine de Proust assez précise en ce qui concerne l’Autriche : je devais avoir 8 ans quand une amie de ma mère nous a ramené de Vienne une “sachertorte”, un gâteau au chocolat aérien qu’un apprenti pâtissier a inventé au milieu du 19e siècle pour un prince autrichien. Je crois que c’est la première chose que je chercherais une fois arrivé en ville.

Il y a quelque chose de magique dans un voyage en train. Je ne regarde même plus le temps passé entre deux villes, j’accepte de filer à travers la verte campagne bavaroise en écrivant, en lisant ou en regardant des épisodes de Seinfeld. Quel génie comique quand même. Premier fou rire du trip. J’ai pris une chambre bien placée dans un hôtel que je ne vous recommanderai pas, une sorte d’hôtel de passe qui ne s’assume pas. Quatre murs, un lit de camp ou presque, et un papier peint motif vallée et forêt : j’ai l’impression de dormir dans le Tyrol, la nature en moins.

Vous n’êtes jamais allés à Vienne ? Allez-y. Prenez un train, et filez en direction du “Museumsquartier”, ce complexe culturel construit dans les anciennes écuries impériales. Des musées, un atelier de danse, des théâtres, des restaurants… C’est comme si on avait regroupé Orsay, la Bourse de commerce, la Comédie-Française et un food court très cool au même endroit.

Après avoir englouti une énorme part de sachertorte à l’hôtel Demel, que je vous recommande chaudement, je suis allé me perdre dans le musée Léopold, au milieu des tableaux de Botero et de Klimt. J’enchaîne avec le Mumok, le musée d’art moderne, qu’il faut absolument visiter. J’ai Notorious Big dans les oreilles en arpentant la superbe exposition d’Adam Pendleton, visible jusqu’en janvier prochain. Pendleton se définit comme un philosophe visuel, il faut errer entre ses œuvres dans lesquelles on se reflète parfois. Passage par la boutique du musée, je m’achète un petit carnet. Je vais écrire tout mon trip dedans. Au dos, il est écrit en vert émeraude une citation de Roland Barthes, en allemand : “Le texte que vous écrivez doit me donner la preuve qu’il me désire.” Ce carnet, c’est la chose la plus précieuse que j’ai avec moi pendant ces deux semaines, il saura tout de moi : mes doutes, mes moments d’euphorie, mes envies. Je le prends aussi quand je sors le soir, c’est ma mémoire permanente, je discute presque avec lui.

Le soir à Vienne, on fait quoi ? Un de mes guides pendant ce trip est une application. Et pas une pauvre intelligence artificielle qui m’enverrait dans un bar touristique, pitié. C’est l’application Raisin, qui liste tous les endroits du monde qui vendent du vin naturel. C’est devenu un réflexe pour moi depuis quelques années, quand je rapplique dans une ville, que ce soit Bourg-en-Bresse ou l’île de Sifnos, hop, je checke sur Raisin où prendre un verre, où dîner. Je débarque un peu tard au Café Kandl, dans le quartier de Neubau. Épais rideaux en velours rouge, lumière tamisée et carte des vins stratosphérique. S’empare de moi ce sentiment d’être au bon endroit, au bon moment. Un étranger seul au bar ne reste jamais seul très longtemps. Pendant ces quinze jours, partout, tout le temps, j’ai discuté, rencontré, questionné et beaucoup ri aussi. Je tombe donc sur un couple de chefs autrichiens en vogue, Luka et Viola de chez Château Tingeling. Ils organisent des pop-up stores, sont en résidence partout en Europe pour cuisiner et faire découvrir la richesse du terroir autrichien. On boit des coups, ils me font découvrir des cépages, comme le blauer wildbacher, typique du pays. Le jour suivant, après un sublime petit déjeuner au Meinklang Hofladen grâce à son granola maison aux fleurs, direction Budapest.

Budapest + Szekszárd

Déjà l’heure de partir. Je reviendrai, Vienne. 34 degrés en arrivant à Budapest, et un trajet en train collé à de bruyants touristes en voiture-bar. L’enfer, c’est vraiment les autres. Je démarre avec un petit verre chez Marlou, un discret mais très chic bar à vin tenu par Jean-Julien Ricard, un Français installé en Hongrie depuis quelques années. Premier choc : la Hongrie compte plus de régions viticoles que la France ! Je continue ma première soirée avec une amie artiste hongroise, qui m’emmène au Szimpla, un bar iconique de l’ancien ghetto juif de Budapest. Le bar est immense, il a une cour intérieure, des alcôves, on se perd dans une sorte de jungle urbaine, c’est le bordel, comme j’aime. Commandez un tubi tonic, un cocktail à base de liqueurs de plantes, c’est la boisson ici, ce n’est pas trop fort, et on se souvient de sa soirée. Le soir, j’ai dormi dans le secret le mieux gardé de Budapest : la Brody House. Un hôtel, une maison accueillante dont les chambres sont remplies d’œuvres d’artistes ayant habité les lieux. Une sorte de Chelsea Hotel de l’Est, j’adore.

Le lendemain, la chaleur est encore plus accablante, direction les bains thermaux. Le plus légendaire, Gellért, n’est qu’à quelques minutes de vélo du centre. Mosaïques multicolores partout, cabines Art déco, fontaines en forme de poissons, je suis frappé par le raffinement de ces bains centenaires. J’ai donc passé l’après-midi dans le bassin extérieur, à toaster sur un transat et à bouillonner dans des bains à remous, je vous le conseille fortement, ça coûte 22 euros la journée.

Le lendemain direction Szekszárd (oui, on prononce comme vous le pensez, n’ayez pas honte), connue pour ses vignobles et le Szekszárd Lodge, dans lequel j’ai hâte de dormir. Sur place, c’est Petra et Milan qui se chargent de la visite. Petra est cheffe, Milan est vigneron, nature bien sûr. Ils m’embarquent dans une vieille Jeep rugissante de l’armée pour monter dans les vignes. Dans la voiture, c’est Taïga, leur laïka de Sibérie, qui veille sur nous. C’est une race de chiens qui chasse les tigres dans les steppes glacées, me glisse, toute fière, Petra. Retour au lodge, et dégustation de cépages typiques hongrois, comme le kékfrankos ou l’ezerjó, un raisin qui donne un vin frais et fruité, l’un des préférés de la dynastie des Habsbourg. Après le dîner, que Petra cuisine exclusivement grâce à ce qui pousse dans son jardin, j’allume la cheminée de mon lodge, et m’endors presque devant les flammes. Demain, direction la Bosnie, pour arriver à temps à l’OK festival, au milieu des montagnes.

“Lever aux aurores ! J’ai une journée de transport de l’enfer. 3 trains, 2 bus,  12 heures de trajet si je ne me rate pas.”

Le train ? À côté, le Poudlard Express c’est un TGV 1re classe. Tout est dans son jus, les couleurs, les motifs, le confort, c’en est presque mignon. Un stop à Sarajevo et une courte nuit dans un hôtel qui est aussi… une station-service, et j’arrive finalement à Tjentište, le village qui accueille le festival, collé à la forêt de Perućica, la plus vieille forêt primaire d’Europe. Sur place, je me fais quelques potes, dont Aleksa et Dragan, deux producteurs d’électro bosniens. Sur scène, j’assiste au triomphe de Konstrakta, une chanteuse serbe méga énergique qui a fini cinquième à l’Eurovision en 2022, une fierté nationale. Et que dire de la performance de Gibonni, sorte de mix entre Florent Pagny et Renaud, mais croate ? C’est fort, la foule connaît chaque virgule de ses hits.

J’arrive à me déconnecter du concert un moment : autour de nous, la nuit tombe sur le mont Maglić, qui nous toise de ses 2 386 mètres de haut. “C’est loin, mais c’est beau”, comme aurait dit Jacques Chirac.

Niksic + Durrës

La nuit a été courte, mais il faut déjà plier bagage et avancer vers notre destination. Encore du train, direction Podgorica. Pas le temps de découvrir la ville, hop, j’embarque dans un bus. Je suis le seul passager. L’engin est une capsule à remonter dans le temps: le chauffeur ne parle pas un mot d’anglais, le bus n’a aucune suspension et les enceintes crachent de la pop des Balkans. J’ai l’impression de vivre une scène de Borat.

À Niksic, au Monténégro, j’arrive à la gare routière à 3 heures du matin. J’ai 10 minutes de marche jusqu’à mon hôtel, ça se fait. Je tombe nez à nez avec deux locaux, bien éméchés, Marko et Mima. L’un d’eux me raconte appartenir à une grande famille de criminels monténégrins, et m’assure qu’il se chargera personnellement de m’accompagner à mon hôtel. Ma bonne étoile me suit ! Le lendemain, je sens le chauffeur du bus pour l’Albanie très stressé par la douane. Il me refile la soixantaine de passeports à montrer à la frontière, je m’improvise donc douanier.

Et la voilà, enfin. L’Adriatique, infinie, caressée par un soleil brûlant, on y est. Premier stop dans un endroit que je tenais absolument à visiter, près de Durrës. Ne vous arrêtez d’ailleurs pas à Durrës, sorte de Costa del Sol à la sauce balkanique. Faites quelques kilomètres de plus dans la campagne pour dormir à l’Agrotourisme Gjepali, du nom de son fondateur. Fundim Gjepali est l’un des plus grands chefs du pays, qui est même juré du MasterChef albanais, ça vous place un homme ! Dans l’assiette, tout est local et de saison, des énormes tomates juteuses à l’agneau fondant. Je m’endors avec les cigales, rassuré. Demain, je suis à Dhërmi, si tout va bien. Lever matinal, direction Dhërmi donc. En train ? Impossible, l’Albanie n’a presque pas de réseau ferré. En bus ? Non plus, une galère. C’est en “furgon”, un minibus, que je descends la côte à toute berzingue. Routes escarpées, lacets de montagne, peut-être que le chauffeur vise un podium en Formule 3, qui sait. J’arrive à Dhërmi, un bijou qui se mérite, encore préservé du tourisme de masse.

Ce soir, je dors dans l’un des plus beaux hôtels de mon voyage, l’Abonora Drymades. La plage est à 5 mètres, les murs des chambres en béton ciré, le luxe minimaliste. Spyros, le propriétaire, me raconte sa ville. Dhërmi était au départ la station balnéaire des hauts fonctionnaires communistes, sous Enver Hoxha, le dictateur albanais. Dès 8 heures du matin, c’est la chaleur écrasante qui me réveille, 32 degrés. Je vais nager dans cette mer transparente, en face des monts Cérauniens. Dhërmi, “entre mer et montagne”, comme dirait Jérôme Commandeur.

À peine installé, je dois repartir, je pose mes valises pour une nuit à Saranda, une station balnéaire ultra-touristique qui n’a aucun intérêt, sauf peut-être ces rougets que j’ai pu choisir en cuisine avec le chef du restaurant Black Marlin.

Le lendemain matin, un bateau m’emmène à Corfou en 30 minutes. Dernière étape ! Corfou, cet après-midi brûlant et ce petit paradis trouvé par hasard. J’errais sur la côte à la recherche d’un petit coin de plage l’après-midi. Je tombe d’abord sur un sublime playground de basket entouré de remparts. Je suis en Birkenstock, on ne va donc pas tenter l’entorse, mais ça me démange.

À quelques mètres de là, lové dans une petite crique discrète, l’Imabari, le bar de plage le plus cool de Corfou. Arrêtez-vous. Commandez un cocktail, piquez une tête en attendant qu’il arrive. Ça y est. Après 2 942 kilomètres, des rencontres qui marquent, des galères et beaucoup de vin (naturel), des dizaines de bus et de trains, une certitude : c’est fini. Une autre : il faut voyager solo, se perdre, rire tout seul, aborder des gens partout et tout le temps. On repart quand pour un nouveau road trip en Albanie ?

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